Parution : mai 2003
Prix Littéraire Marguerite Yourcenar 2004
Sélection Prix Folies d'Encre 2004
Sélection Prix Plum'Adely 2004
LE QUATRIEME DE COUVERTURE
Deux territoires du colonialisme français dressent le décor de ce roman. D'abord le Viêtnam, où le narrateur passe l'essentiel de son enfance. Puis, à l'adolescence, après la chute de Diên Biên Phu, l'Algérie, où lui-même et les siens tentent de prendre un "nouveau départ". Car d'un lieu à l'autre se reforme bientôt la même petite société d'expatriés qu'unissent l'amertume d'une position perdue, la farouche volonté de se réenraciner, et le dévouement au service plus ou moins occulte de l'Etat français.
Mais ce livre, c'est aussi l'histoire d'un fils subissant avec stupeur la violence et les crises éthyliques de son père, dont la brutalité peu à peu le libère du sentiment filial, plaçant son destin sous le signe d'une haine presque mimétique - impatience de s'accomplir quand viendra l'heure de "faire son devoir".
Avec ce roman d'apprentissage, Arnauld Pontier explore le métabolisme affectif d'un conflit colonial qui surgira du plus profond, comme une catharsis.
La couverture est un détail d'une oeuvre de Djamel Tatah, Sans titre (1999).
LA VOIX DE L’ORANIE
18 et 19 FEVRIER 2009 (n° 2827 et 2828)
BECHAR DANS LA LITTERATURE FRANCOPHONE
Pontier Arnaud, l’enfance meurtrie à Béchar
Arnauld Pontier passa une partie de son enfance à Béchar où ses parents exerçaient dans les années 1970 comme enseignants coopérants. Dans La treizième cible, Arnaud Pontier tente son autobiographie à peine romancée : « En 1955, à Colomb-Béchar, l’immensité du désert est comme un aimant. Les femmes en caftan brodé, les yeux peints de noir et de henné, dansent au milieu des attroupements et les dromadaires, de leur pas d’autruche, transportent des litières garnies de coussins ». François le héros du roman qui incarne l’auteur lui-même a 7 ans lorsqu’il quitte la France pour Saigon, avec sa sœur cadette et ses parents.
Il en a 13 quand ils s’installent à Colomb-Béchar. Le jeune garçon passe ainsi son enfance et son adolescence dans deux territoires du colonialisme français, qui vit ses premières inquiétudes. Arnauld Pontier affirme que son séjour d’enfant à Bechar ne fut pas une sinécure. Ils auraient été, selon son témoignage, victime d’actes de malveillance de la part des habitants de la ville et il en garda une profonde amertume.
En fait, il semble que les mauvais souvenirs qu’il associe à son séjour à Béchar avaient d’autres motifs, car le jeune enfant, héros de son livre, avait pour père un monsieur directeur d’école - mais également au service du Renseignement - alcoolique, qui bat sa femme et ses enfants, régulièrement admis à l’hôpital pour cause de «chute dans l’escalier. Quant à la mère, aucune âme ne semblait occuper ce corps affecté par ses manières et par ses poses. Jamais elle n’adressera une phrase ou un geste de consolation envers sa fille ou son fils.
François, en fait Arnauld Pontier, exècre donc son enfance. L’écrivain décrit de manière extrêmement lucide et froide les traumatismes de son enfance brisée, « du bonheur que l’on ne reconstruit pas quand il est mal assis sur la souffrance ». Pour se venger de tous ses malheurs d’enfant, le jeune garçon décide que nul ne pourra le chasser de l’Algérie et il prend goût à la vie en tuant des hommes, dans l’attente d’avoir un jour son père en ligne de mire. Mais le jugement sévère que porte Arnauld Pontier sur la ville de Béchar décrite comme une ville où il aurait existé un racisme anti-blanc est à relativiser.
Un intellectuel de Béchar, Hedli Khelifa témoigne : « J’ai le souvenir d’un professeur de français au nom de Pontier, qui m’a fait découvrir le théâtre et qui m’a surtout donné le plaisir de découvrir tous les classiques de l’époque et me réconcilier avec la langue française. C’était pour moi un artiste perdu dans le désert. J’en garde un très bon souvenir. Un des rares, si ce n’est le seul qui m’a fait adoré le français, la littérature et les classiques. Il était très porté sur la boisson et venait toujours bien éméché au lycée. Cela peut expliquer les rapports difficiles avec ses voisins. Humainement, c’était un gars merveilleux et un prof dont on se rappelle toute sa vie ».
Hani Abdelkader
L’EXPRESS
14 août 2003
Chaque pays, chaque période de l’histoire porte ses mots, empreints de bonté, de sang ou de malédiction. Arnauld Pontier les marie avec la précision d’un orfèvre et la grâce d’un jongleur. En 1949, au Vietnam, les enfants de familles d’expatriés se baignent dans l’eau jaune du Dong Naï, découvrent les saveurs particulières des scarabées cuits ou du gecko étêté à la broche. En 1955, à Colomb-Béchar, en Algérie, l’immensité du désert est comme un aimant. Les femmes en caftan brodé, les yeux peints de noir et de henné, dansent au milieu des attroupements et les dromadaires, de leur pas d’autruche, transportent des litières garnies de coussins.
François a 7 ans lorsqu’il quitte la France pour Saigon, avec sa sœur cadette et ses parents. Il en a 13 quand ils s’installent à Colomb-Béchar. Le jeune garçon passe ainsi son enfance et son adolescence dans deux territoires du colonialisme français, qui vit ses premières inquiétudes. Le père, directeur d’école – mais également au service du Renseignement – alcoolique, bat sa femme et ses enfants, régulièrement admis à l’hôpital pour cause de « chute dans l’escalier ». Quant à la mère, « aucune âme ne semblait occuper ce corps affecté par ses manières et par ses poses ». Jamais elle n’adressera une phrase ou un geste de consolation envers sa fille ou son fils. François exècre son enfance. Gorgé de haine, il accumule de la force quand sa sœur dépérit.
L’écrivain décrit de manière extrêmement lucide et froide les traumatismes de l’enfance brisée, «du bonheur que l’on ne reconstruit pas quand il est mal assis sur la souffrance».
A contrario, les personnages secondaires montrent que Pontier est tout aussi doué pour parler des gens de qualité. Ainsi la merveilleuse et émouvante Yvonne, femme meurtrie jusqu’au plus profond d’elle, mais qui fait preuve d’une grande générosité envers les autres. Le jeune garçon décide que nul ne pourra le chasser de l’Algérie et il prend goût à la vie en tuant des hommes, dans l’attente d’avoir un jour son père en ligne de mire. Le lecteur admirera la fin, somptueuse et étonnante, treizième et ultime cible qui ne laisse aucune échappatoire.
Cécile Pivot
Article également reproduit sur REIMS WEB
LE NOUVEL OBSERVATEUR
Semaine du jeudi 10 juillet 2003 - n°2018
La haine
Le coup de cœur de Jérôme Garcin
Arnauld Pontier est apparu, l’été dernier, avec un premier roman brillant et libertin, La Fête impériale, une éducation sentimentale sous le Second Empire. En même temps que son jeune héros, d’origine limousine, le lecteur était initié aux rituels de l’aristocratie et aux nuits de débauche d’un Paris retracé par Haussmann au cordeau. Avec son deuxième roman, La Treizième Cible, Arnauld Pontier prouve non seulement qu’il a l’imagination voyageuse mais aussi que son talent est obstiné. Il passe, avec un naturel confondant, de l’avenue de l’Impératrice aux ruelles de Saigon et de Colomb-Béchar, dans les années 1950-1960. L’idée formidable de Pontier est de décrire les violents soubresauts de la décolonisation à travers l’histoire d’une famille massacrée par un tyran domestique.
Le père du narrateur, un fonctionnaire de l’Éducation nationale, était alcoolique. Quand il ne brisait pas les bouteilles de whisky sur la tête de sa femme ou ne lui transperçait pas la main avec un couteau de chasse, il fréquentait les bordels et les fumeries de Cholon. Mais son sport préféré était de taper sur son fils. D’abord en Indochine, ensuite en Algérie, le garçon expatrié grandit dans la haine du père. Mais aussi dans l’attente méthodique de la revanche armée qu’un jour, à l’âge mûr, il prendra enfin sur cet homme, symbole d’un empire à l’agonie. Car il avait brisé sa femme, condamné sa fille au mutisme et fait croire à son jeune fils que la vie était un enfer.
Après avoir si bien raconté, dans La Fête impériale, l’excitation d’entrer dans l’âge adulte, Arnauld Pontier décrit ici, avec la même méticulosité, l’horreur d’être privé à jamais des bonheurs de l’enfance. C’est peu dire que l’on attend son troisième roman.
LIRE
Juin 2003
L'enfant sans racines
« Mon père fumait des kretek. C'est la première image qui revient à ma mémoire. » La première phrase du deuxième roman d'Arnauld Pontier résonne comme un écho à celle de son précédent ouvrage : « Ma mère refermait son livre... Cette image revient souvent à ma mémoire. » Deux livres en forme de diptyque mémoriel dont le premier volet parcourait les rouages de l'amour et du désir et dont le second explore ceux de la haine et de l'indifférence, sur la toile de fond sombre, très sombre de l'enfance.
Nous sommes à Saigon dans les années cinquante. François, le narrateur, et sa petite soeur vivent dans l'ombre menaçante de leur père, un directeur d'école alcoolique et violent. Leur mère, troisième cible des coups de pied et de poing de l'ivrogne, se réfugie sous un masque de dignité pathétique. Brandissant la distance comme un bouclier, elle s'avère aussi incapable de défendre ses enfants que de les prendre dans ses bras pour les consoler. La petite fille sombre peu à peu dans la prostration tandis que son frère prend appui sur la haine, l'humiliation et la souffrance pour se construire, convaincu que seule la vengeance donne un sens à la vie. Mais, comme l'insecte accepte les lentes gestations de ses mues, il faut accepter l'attente, « être comme l'eau, se laisser traverser sans heurt. Etre comme le feu, dépasser tout obstacle ». En écrasant le géniteur, la roue de l'Histoire va ouvrir au fils les portes de la riposte. Le jour de l'indépendance, la famille quitte l'Indochine. Direction Colomb-Béchar, en Algérie, où le père vient d'être nommé inspecteur de l'enseignement. L'enfant sans racines s'éprend violemment de cette terre qu'il élit comme sienne. Brassage de fonctionnaires, de commerçants et d'aventuriers, la société coloniale en pleine décadence de la fin des années cinquante devient alors le terreau idéal de l'ultime métamorphose.
Écrivain, on pressentait qu'Arnauld Pontier l'était en refermant son premier roman. Il le confirme de façon magistrale dans ce texte où il fait corps avec son sujet. La plume a la pureté esthétique et la précision d'une arme blanche. Elle ondule, cisèle, caresse et frappe avec une égale justesse. Aucun pathos pour dire cette relation mortifère de haine et d'attirance mêlées qui unit l'enfant au père. Attirance pour l'homme qu'il sent terrassé par une peur insoutenable, et haine pour le bourreau du corps et de l'âme. Mais si les plaies laissées par les coups cicatrisent, celles que creuse l'indifférence restent béantes. L'enfant grandit en comptant et en cultivant ses blessures. Elles deviennent les béquilles qui le mènent à l'âge d'homme, cet âge qui le « débarrassera de son enfance ». Mais, peut-on réellement se débarrasser de son enfance? « On ne reconstruit pas le bonheur; il est mal assis sur la souffrance... il était trop tard pour revenir sur ce gâchis », constate le narrateur. Dès lors, considérant toute rédemption impossible, il inscrit définitivement son destin dans la violence et la haine, uniques repères de l'ex-enfant et seuls moteurs de l'adulte en devenir.
Alexie Lorca
LE MONDE
25 juillet 2003 (extrait)
On avait découvert Arnauld Pontier peintre d'un Paris libertin avec La Fête impériale (Actes Sud, 2002). On le retrouve sous d'autres cieux, plus exotiques, pour sa première incursion dans l'édition jeunesse […] comme pour son deuxième roman, dont l'action se situe aux dernières heures de l'empire colonial, en Indochine d'abord, puis en Algérie.
Plus qu'une toile de fond pour ce roman d'apprentissage d'une crudité aussi sèche que brutale, l'histoire des années 1950 livre l'écho extérieur d'un drame intime – celui d'un enfant dont le mépris pour un père alcoolique et violent construit l'identité avec une impitoyable lucidité – dont l'instinct de vie passe par la haine, pulsion de mort et élan des sens conjugués. Du monde délétère des coloniaux à la promesse diffuse d'une nature ici exubérante et là tranchante, le narrateur découvre que l'enfance sert parfois « de terrain de jeux pour les adultes – de dépotoir pour toutes leurs faiblesses et leurs incohérences ».
Philippe-Jean Catinchi
LIBERATION
22 mai 2003
Un fils raconte son père, fonctionnaire colonial français, alcoolique sous les tropiques, alcoolique jusqu’au suicide. Dans ce second roman, Arnauld Pontier restitue les odeurs, les saveurs, les objets, ces détails qui forgent l’univers de l’enfant et, malgré tout, enchantent son enfer. Le fils n’oublie rien, aiguisant son mépris, sa haine, sa pitié, et prolongeant dans l’action politique meurtrière, en Algérie, les instincts et la mort que son géniteur lui à légués.
Philippe Lançon
aVOIR-aLIRE
20 août 2003
Débâcle
Anatomie du crime. Arnauld Pontier pose sa loupe sur la haine en formation.
Quand donner la mort permet de rester en vie.
Roman initiatique, La treizième cible s'offre en deux volets, deux époques dans la biographie du narrateur, deux lieux dans lesquels va s'accomplir le cheminement qui va le mener de la haine à la vengeance. C'est l'histoire d'un enfant sans amour dans l'Indochine coloniale, battu par un père alcoolique, rejeté par une mère incapable de sentiments. Une petite sœur se réfugie dans la bulle silencieuse de la psychose, le narrateur, lui, choisit la haine pour répondre à la haine, pour remplacer l'amour qu'on lui refuse.
Quelques éclairs de bonheur laissent entrevoir une vie qui ne sera jamais la sienne. « Le manque d'amour est impuissant à consoler. » Diên Biên Phu marque le départ de Saigon et la fin de l'enfance. La violence larvée du traumatisme se trouve un but dans la lutte pour l'Algérie française. L'ennemi a un visage, la vengeance se caresse à travers l'acier glacé d'une arme, la vie prend sens en donnant la mort.
Arnauld Pontier choisit la simplicité de l'écriture pour dire l'indicible d'une vie de décombres. Les guerres coloniales donnent une justification à la violence, un idéal au déferlement de la barbarie. Les destins individuels se confondent avec l'Histoire, dérisoires et absurdes, quand l'ennemi paie pour la blessure d'une enfance brisée. Ces guerres n'ont ni vainqueurs ni vaincus. Elles donnent à peine une illusion de survie à ceux qui sont déjà morts.
Catherine Le Ferrand
Article également reproduit sur M6.fr
BIBLIOTECA
n° 85 – juin 2003
Avec pour toile de fond les soubresauts de la décolonisation au Viêt-Nam puis en Algérie, ce roman d’apprentissage raconte une histoire individuelle et familiale marquée par la brutalité, la souffrance et l’aliénation – ou comment la haine et la violence autodestructrices d’un enfant mal aimé peuvent peu à peu faire de lui un sauvageon, un être solitaire et assoiffé de vengeance et finalement un assassin.
LA MARSEILLAISE
3 août 2003
Règlements de compte
Un jeune garçon élevé à la cravache sous deux régimes colonialistes devient un meurtrier. Implacablement écrit par Arnauld Pontier, La Treizième Cible fait froid dans le dos.
L’enfance du narrateur, François, est baignée par deux guerres coloniales, le VietNam puis l’Algérie, où son père est successivement nommé, chargé de « renseignement » sous couvert d’enseignement.
Dans la moiteur de Saigon puis les sables de Colomb-Béchar à la frontière marocaine, le gosse fait ses armes, implacables, cruelles, dans une autre guerre, intestine, familiale, sans répit, qui l’oppose à son père. Alcoolique, ce dernier frappe, blesse, humilie. Le fils, la sœur, la mère y passent, réduits à l’obéissance, abîmés de douleur.
Arnauld Pontier – dont c’est le deuxième roman – fait ici un réquisitoire impitoyable contre la tyrannie. Domestique, elle n’est que le reflet d’une autre, sûre de son fait et de ses avantages (en nature comme en monnaie sonnante et trébuchante, en trafics divers, protégés par la loi), impunie, et se croyant indélogeable. « Nous sommes là depuis vingt-cinq ans et nous sommes un million », riposte le père, tandis que « les événements » déstabilisent l’Algérie.
Bientôt, la guerre, sans pitié, est là. Le père avec quelques amis est du côté des généraux, et se livre à des opérations anti-fellaghas, autant dire des exécutions. Longtemps le fils cherchait « des charognes sur le lit de cailloux », impuissant à calmer la haine et la douleur qui se disputaient en lui. Enfant, il était déjà l’ennemi du père, maintenant il est l’ennemi de tout un peuple. Rien ne le soulage du poids du présent et du passé réunis. Les femmes ne pèsent rien dans la balance, « dans l’homme, je ne vois pas un amant, mais un ennemi », l’amitié aurait pu sauver quelque chose, mais Charles – l’enfant, compatriote, aimé comme un frère – est retourné en France bien avant les dures années algériennes. Seul le tir pour lequel il est incroyablement doué, et dans lequel il concentre des années de vengeance ajournée, calme ses dix-sept ans.
François intègre ainsi le monde des adultes, monde dirigé par son père, monde fermé qui s’adonna longtemps aux beuveries avant de sombrer dans les tueries. Il sera le tueur d’élite, menaçant muettement le pouvoir de celui qui l’a dressé à haïr.
Arnauld Pontier mène son histoire sans un moment d’attendrissement. Charles est parti trop tôt, la sœur de François est une victime terrorisée, la mère vit dans l’ombre de ses amants. La seule beauté est celle des paysages, des habitants du Vietnam, pour le reste la violence sature les chapitres, les paragraphes, les phrases. Une violence bridée par l’élégance de la langue, et la stricte composition du livre qui avance vers sa fin, la treizième cible qu’on n’imaginait pas.
Claudine Galéa
RADIO France
LA RADIO DU LIVRE
Une dédicace de l’auteur du 28 mai 2003
La vie est cruelle. La France où je suis né a renié mes seuls pays d'enfance : d'abord, le Vietnam, que j'ai dû fuir en 1956, au lendemain de Diên Biên Phu, puis l'Algérie, dont elle veut à présent me chasser parce que De Gaulle veut entrer dans l'Histoire. Mais, l'histoire ne se répétera pas ; j'ai dix-huit ans à présent, je suis un homme, et c'est sur cette terre berbère, qui n'est pas plus aux Arabes qu'aux autres occupants, que je veux vivre, auprès de mes frères kabyles, musulmans, juifs, pieds-noirs... J'ai gagné le droit d'avoir enfin un pays ; il nous l'avait promis — « Je vous ai compris », avait-il dit à Alger en 58... Et je me battrai pour le garder, même si cela doit me ranger aux côtés de ce père alcoolique que je hais depuis toujours, qui nous frappe et en jouit, et sous le joug duquel ma pitoyable et aristocrate de mère a toujours eu la lâcheté de nous abandonner. Je dis « nous », parce j'ai une soeur, enfin, ce qu'il en reste après un coup de trop... Je m'appelle François. J'ai déjà tué. Et je vais encore tuer pour défendre notre cause.
RADIO FRANCE INTERNATIONALE
7 novembre 2003
Un roman au goût de fiel
(MFI) Le colonialisme, on ne le sait que trop, a laissé partout des blessures mal cicatrisées ; on méconnaît souvent qu’il fit aussi des victimes parmi les colons. Le roman d’Arnauld Pontier prend place dans deux territoires colonisés, le Vietnam où la narrateur passe son enfance, et l’Algérie où les expatriés, chassés par la chute de Diên Biên Phu, tentent de redorer leur blason, de défendre leur idéal périmé d’un Etat français, mais aussi de s’enraciner, tant bien que mal, dans une terre qu’ils veulent faire leur et qu’ils aiment. Le père du narrateur, normalien tout entier au service de la France, est aussi un alcoolique violent qui bat régulièrement sa femme et son fils. Adultères, lâchetés, trafics et propagande sont le lot ordinaire de ces colons que l’enfant regarde avec haine, dégoût et mépris.
La Treizième Cible est un livre douloureux, aride, un livre au goût de fiel. La haine nourrit ce récit comme un feu qui dévore le narrateur. Victime, oui, il l’est sans doute et les victimes ont-elles un choix ? Peuvent-elles se révolter et comment ? Arrivant adolescent en Algérie, le héros découvre les activités cachées de son père et de ses amis qui, se sentant trahis par le général de Gaulle, rentrent dans la guérilla sournoise et féroce qui oppose partisans du FLN et suppôts de Salan. Mais la haine qu’il porte à son père est ambiguë : il attend l’heure de « faire son devoir », l’heure de la vengeance, sans se démarquer pourtant de l’idéologie paternelle. La guerre de libération du fils battu ne sera pas celle des peuples opprimés. Il se venge, mais ne se révolte pas et, à cause de cela, l’on ne sait si cet enfant blessé grandira jamais.
Catherine Brousse
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
26 mai 2003
A sept ans, François part à Saigon où son père a été nommé directeur d’école. Les mouvements anticolonialistes s’organisent et celui-ci fait office d’agent de renseignement. Années rêvées si l’ambiance familiale n’était pourrie par l’alcoolisme et la brutalité paternels. Sa petite sœur s’étiole, sa mère prend un amant. Seule son amitié pour Charles éclaire sa jeunesse sans amour. La chute de Diên Biên Phu déplace la famille en Algérie. François découvre le vrai rôle de son père, responsable d’actions de commandos anti-FLN. Il prête ses talents de tireur d’élite à ces opérations : à dix-huit ans, il a tué plusieurs fois. Un jour son père, sadiquement, lui enjoint de tirer sur son ami Charles. Sur lequel de son seul ami ou de ce père haï va-t-il arrêter sa mire ?
Ce roman fort raconte l’écrasement d’un enfant, soumis aux violences paternelles et à l’indifférence maternelle. Les turbulences de l’histoire accentuent son déracinement et sa détresse, terriblement rendus par la justesse du ton et le style fluide.
OUEST PROVENCE
11 décembre 2003
La treizième cible est l’histoire de François, un enfant élevé sans amour, battu par un père alcoolique, rejeté par une mère incapable de sentiments. Une petite sœur se réfugie dans la bulle silencieuse de la psychose, le narrateur, lui, choisit la haine pour répondre à la haine, pour remplacer l’amour qu’on lui refuse. De Saïgon à l’Algérie, deux territoires du colonialisme français, nous suivons la trajectoire d’une famille qui tente de prendre un nouveau départ, mais qui d’un lieu à l’autre se retrouve dans la même petite société d’expatriés, personnages unis par l’amertume d’une position perdue, destins individuels, dérisoires et absurdes, tous embarqués dans une guerre où il n’y a ni vainqueurs ni vaincus. Violence conjugale, violence d’un père à son fils, violence larvée qui doit trouver un but dans la lutte pour l’Algérie française. Tout se confond, l’histoire et les acteurs. Nous assistons à la chute d’un idéal et au déferlement de la barbarie. Ici, le prix à payer c’est celui d’une enfance brisée à jamais.
Une écriture vibrante, dense et généreuse, mais acérée comme une lame. L’intensité de ce roman coupe le souffle. Arnauld Pontier prouve non seulement qu’il a l’imagination voyageuse mais aussi qu’il a un grand talent.
Mais aussi...
FRANCE CULTURE
DEPAYSAGE - Philippe Bertrand le 9 mai 2003
TOUT ARRIVE - Marc Voinchet le 6 juin 2003
FRANCE INTER
SOUS LES ETOILES EXACTEMENT - Serge Levaillant le 9 mai 2003
05 août 2020
"La fabrique d'un tueur", ainsi Arnauld Pontier aurait-il peut-être pu appeler son roman, même si ce titre-là va très bien aussi : on ne comprendra pourquoi que dans les toutes dernières pages.
Dans une langue toute d'élégance comme à son habitude, et dont on savoure chaque phrase coupée au cordeau, l'auteur met en place, tel un horloger, le destin inexorable de ce jeune narrateur né d'une colère sourde et d'un manque absolu d'empathie façonné par la violence physique qu'il subit de son père, mais peut-être plus encore de la violence psychologique – et derrière l'élégance des mots, ne nous y trompons pas : celle-ci est inouïe – née de sa perversité et de celle de ses "amis" masculins, alors que les femmes de son entourage ne parviennent pas à le soustraire à cette éducation insidieusement dépravée, et finissent, par leur passivité ou par leur maladresse, par faire encore pire que mieux.
Il sera bien difficile de trouver plus brillant plaidoyer contre la violence domestique à l'égard des enfants.
Les références coloniales d'Indochine, puis d'Algérie, encore une fois d'une précision d'orfèvre (c'est une autre marque de fabrique de cet auteur, on ne va pas s'en plaindre) trahissent le passé d'Arnauld Pontier qui a vécu son enfance dans ces pays, a priori plutôt quelques années plus tard. Elles donnent à l'ensemble de ce récit un charme exotique et suranné, et parfois une impression de paradis perdu, même si par moments le nombre et la densité de ces précisions m'ont un peu perdu, ayant moi-même bien moins de référents et de représentations mentales que l'auteur sur ces sujets.
Arnauld Pontier est décidément trop peu connu. Chacun de ses romans est un petit bijou ciselé de littérature, et une nouvelle preuve de l'élasticité de son talent de touche-à-tout, et si je conçois que ses romans chez Actes Sud ne soient pas très "grand public", je suis sidéré qu'ils n'aient pas une meilleure audience dans le petit public d'amoureux des mots.
Diabolo44
15 avril 2012
[...] J'y ai vu un livre de rapports de force : entre le père et le fils, entre le fils et ses camarades autochtones, entre les occupants et les colonisés, entre les hommes et les femmes aussi, un peu. D'ailleurs les femmes, soumises ou assassinées, en sont presque absentes (ceci expliquant peut-être cela), ce qui a beaucoup changé de mes dernières lectures.
A la première partie succède une seconde forcément plus intéressante puisque l'âge du héros l'autorise à faire des choix, et son bouillonnement intérieur grandissant au fil des pages nous mène inéluctablement à la crise finale.
Playgirl
Il suffit d'écouter - 16 septembre 2003
Que dire de l'écriture d'Arnauld Pontier, si ce n'est qu'elle est implacable, drôle, sensible, juste ? Nous ne revenons pas intacts des territoires qu'il nous fait explorer.
Fulgurant, superbe - 5 septembre 2003
Avec une maîtrise parfaite d'un style et d'une écriture rapide aux images percutantes, A. Pontier nous entraine dans une France des Colonies dont les senteurs épicées portent la cruauté des situations. L'initiation fatale du narrateur dans l'Histoire réelle et sublimée nous touche et nous laisse pantelants !
Fort et intime - 31 mai 2003
On ne ressort pas indemne de ce livre acéré, ciselé, plein d'odeurs et d'intimité. La souffrance vécue de l'intérieur, mais à travers une histoire sans pathos. On y 'sent' l'Asie, puis l'Algérie, et ce monde colonial... Encore plus beau que le premier livre de cet auteur (La Fête impériale), parce que peut-être plus incarné.
CRITIQUES LIBRES.COM
30 mai 2003
Cruels tropiques
Les jeunes années du narrateur se situent dans l'Indochine puis l'Algérie des années cinquante. Dans ce décor colonial(iste), la vie quotidienne ne ressemble en rien à celle d'une enfance dorée, protégée. Le héros - dont nous ne connaîtrons le prénom qu'à la fin du roman -, se voit brutalisé et méprisé par des parents qui forment un duo infernal. Le père, un enseignant aux activités ultra louches, se complait davantage dans les bras des putes locales que dans ceux de sa femme ou de ses enfants qu'il tabasse sans vergogne. La mère, indifférente à la souffrance de ses proches, ne vaut guère mieux. Bourgeoise égocentrique, elle court les cocktails chics et les amants endurants... Ainsi grandit la haine dans le coeur d'un jeune homme qui fomente une vengeance libératrice... De ce second roman d'Arnauld Pontier surgit toute la noirceur - mais aussi la lumineuse fragilité - qui habite les êtres. Une écriture vibrante, dense et généreuse, mais acérée comme une lame. L'âme des tropiques y est formidablement rendue. L'intensité du roman coupe le souffle.
Clarinette
Critique reprise dans BOOKNODE
ALIGASTRORE.COM
Sublime haine...
Une écriture superbe, acérée. Une émotion qui vous prend aux tripes. Je n'avais rien lu d'aussi incarné sur l'Asie depuis Duras ou Hougron, rien de plus intime sur l'enfance depuis Bazin, rien de plus... Bref, à découvrir d'urgence, pour ne pas en ressortir indemne.
ALAPAGE.COM
La Passion coloniale
Le Vietnam jusqu'en 1956, puis l'Algérie, jusqu'en 1961 : deux territoires du colonialisme français ; la même société de petits colons...
C'est l'histoire d'un de leur fils, abasourdi par la violence d'un père alcoolique et par l'indifférence d'une mère, craintive, se protégeant dans la distance.
Un roman incarné, acéré, plein d'odeurs, de couleurs. Une plume qui décape, une histoire qui émeut. Un livre qui vous marque. J'ai adoré.
LINTERNAUTE
Mai 2004
C'est beau, c'est tragique, c'est bien écrit ! La justesse du verbe traduit parfaitement ces sentiments de haine et de vengeance dans ce récit ! Que de questions à se poser en refermant ce livre !
Il a recu le prix Marguerite Yourcenar 2004 ! Incontournable, à découvrir !
BOOKENSTOCK
Mai 2004
Le récit troublant d'une enfance marquée par un père violent et une mère affectivement absente, au Vietnam puis en Algérie. La haine va nourrir notre héros, le poussant à la vengeance... Ce livre nous tient en haleine jusqu'à sa dernière page. C'est bien écrit, une puissance dans la traduction des sentiments...
Ce livre a reçu le Prix littéraire Marguerite Yourcenar 2004. Courez vite le découvrir !
20SIX.FR
20 avril 2004
J'ai trouvé ce livre à la bibliothèque et j'ai cédé à la tentation de le lire, malgré une pile déjà impressionnante sur ma table de chevet, car il se trouve que je 'connais' Arnauld Pontier, qui est un collègue bibliocorsaire... Je n'ai pas été déçue. A priori, le sujet ne me bottait pas tellement (récit d'un adolescent français qui vit d'abord au Vietnam puis en Algérie dans les années 50) mais j'ai découvert une écriture remarquable qui m'a littéralement scotchée au bouquin jusqu'à ce que je l'aie fini... Un livre très noir, plein de violence qui ne dit pas toujours son nom, mais une écriture 'sensuelle' (c'est le meilleur qualificatif que j'ai trouvé pour l'instant), travaillée. Finalement, j'ai beaucoup aimé. Je crois que je vais essayer de mettre la main sur son premier roman, La Fête impériale, toujours aux éditions Actes Sud. |
ZAZIEWEB.FR
26 avril 2004
Le narrateur, un enfant de colons vivant tout d'abord au Vietnam, se retrouve adolescent avec les siens en Algérie. Il va subir la violence d'un père et l'ingratitude d'une mère, indifférente... |
La décolonisation (Vietnâm puis Algérie) vue à travers une enfance brisée, une famille ratée - ou comment la brutalité et l'injustice de la petite histoire familiale peut être le miroir de la Grande Histoire. Un livre bouleversant, dépaysant, polémique aussi, que sa fin vous condamne... à relire ! Beaucoup de charnel aussi, dans l'écriture : odeurs, sons, couleurs, matières... Une belle découverte.
Joëlle
Septembre 2007